Les combats de la Haute-Roya
Débouchant de la région de Tende, alors italienne, deux régiments d’infanterie vont tenter de bousculer nos avant-postes solidement accrochés sur leurs positions.
Par Jean Pierre Martin et Marc Endinger
Saorge
le bouteiller
Forces en présence
- françaises : section d’éclaireurs-skieurs (SES) 24e, 62e, 65e, 102e, 105ebataillons de chasseurs alpin (BCA), et le 104e BCA avec sa SES.
- sections d’éclaireurs-skieurs (SES) 24e, 62e, 65e, 102e, 105e bataillon de chasseurs alpin (BCA), 5e, 6e, 7e bataillons de chasseurs pyrénéens (BCPyr), le 104e BCA avec sa SES et le 85e bataillon alpin de forteresse (BAF) avec sa
- S’ajoute l’appui d’artillerie des IIe, IIIe et IVe groupes du 158e régiment d’artillerie de position (RAP) et du Ier groupe du 96e régiment d’artillerie de montagne (RAM)
- italiennes : 37e et 38e régiments d’infanterie de la division Ravenna.
Division Cuneo en réserve.
Débouchant de la région de Tende, alors italienne, deux régiments d’infanterie vont tenter de bousculer nos avant-postes solidement accrochés sur leurs positions.
On se bat durement en avant de Saorge.
La SES/105e BCA ainsi qu’une compagnie du 104e BCA contiennent une colonne forte de plusieurs centaines d’hommes. Celle du 24e BCA capture 40 prisonniers aux Granges d’ Arrès.
Le 23 juin nos chasseurs sont contraints d’évacuer Fontan sous la menace d’un bataillon italien, et se replient sur une position arrière, au carrefour Cairos-Roya, mais l’ennemi ne peut déboucher au-delà ni s’emparer de Saorge.
La résistance française est qualifiée « d’active et efficace » par le commandement italien.
La commission d’armistice décidera de tracer au milieu de ce village une ligne de démarcation, au grand dam des habitants qui protestèrent auprès de leurs autorités de tutelle et inscrivirent sur la chapelle Sainte-Croix la fière devise« Dei sacriconfiniguardiasicura » (« La garde sûre des frontières sacrées »).
LES OPÉRATIONS DE LA SES/24e BCA EN HAUTE ROYA
10 juin. À 18h, la SES prend des dispositions d’alerte sur les positions qu’elle occupait à la sortie est de Fontan : un groupe surveillant le ravin de de Peve, un groupe barrant le sentier de Peve à Fontan, le troisième groupe continuant à occuper les granges d’Arrès et l’observatoire du Campbel.
11 au 14 juin. RAS dans le secteur San-Dalmazzo ̶Barcone-di-Marta, sauf des déplacements d’éléments italiens sur la crête frontière.
15 juin. Vers 4h, le groupe d’Arrès est alerté par le bruit des infiltrations ennemies dans le bois du Larze et se replie au petit jour, craignant d’être tourné par les cheminements boisés ; vers 5h, un détachement ennemi de la valeur d’une section procède à la reconnaissance des granges précédemment occupées par le groupe, qui ouvre le feu sur lui. Dans le courant de la journée, on repère à la binoculaire deux observatoires italiens sur le sommet de Campbel et la Pointe de Lugo, ainsi que le déplacement de petits groupes sur l’arête frontière.
16 juin. Les Italiens continuent d’aménager leurs observatoires. Vers 20h, on repère d’importants détachements cheminant sur la crête Lugo-Anan en direction du sud.
17 juin. Vers 6h30, le 1er groupe aperçoit des ennemis atteignant les granges de Peve. Le FM tire quelques rafales espacées sur les premiers éléments. Vers 8h, la batterie d’artillerie d’appui direct ouvre le feu. Les Italiens commencent à refluer, se groupant sur le sentier qui conduit de Peve à Arrès. Le FM, sur les indications de la binoculaire, ouvre le feu sur les groupes ennemis qui bondissent. Vers 10h, on voit un ennemi agiter un mouchoir au bout d’un fusil. Le chef de section fait cesser le feu et se porte sur la côte 1007 où il demande aux Italiens de se rendre ; ceux-ci jettent leurs armes, se lèvent en agitant des mouchoirs. Au total 35 prisonniers, dont six blessés, sont ramenés vers les positions françaises et escortés jusqu’à Fontan entre 11h et midi. Les Italiens laissent vingt à trente morts sur le terrain.
Un peu plus tard, le 2e groupe, posté au-dessus du tunnel de Fontan, fait refluer les Italiens vers le nord.
18 juin. On repère des travaux d’aménagement italiens, notamment des emplacements de mortiers.
20 juin. Relève par la SES du 104e BCA.
Historique de la section d’éclaireurs du 24e BCA par le lieutenant Cuggia
Le présent récit est la suite de rencontres et d’échange de courriers entre Monsieur Georges Grousset chasseur, en 1940, au 104e BCA, et Marc Endinger en 1992. Les phrases sont telles qu’écrites dans les différents courriers….
Souvenirs…
J’étais de la classe 1930. Mon régiment était le 81e RIA à Montpellier. J’ai été mobilisé le 3 septembre 1939. Je me suis rendu à Jonquière (84) près d’Orange pour former le 104e BCA.
Concernant les étapes, pour la première nous sommes partis de Jonquière vers Saint-Rémy-de-Provence.
Je me souviens, lors de notre passage sur les routes provençales, que les grands-mères pleuraient et que des personnes nous distribuaient des tranches de melon, du raisin, de l’eau et du vin.
Cette première étape fut très éprouvante, car les sacs à dos étaient très lourds, et nous avions marché plus de quarante kilomètres. Ensuite nous sommes repartis en direction de Ventabren où nous sommes restés plus d’un mois pour divers exercices militaires.
Puis nous avons fait route vers Tourette-Levens (près de Nice).
De Tourette-Levens, nous sommes allés la Bollène-Vésubie. Là nous avons construit un petit fortin dans un hameau qui surplombait la route. Ensuite nous sommes allés au camp militaire de Peira-Cava. De cet endroit nous avons pris le chemin pour aller à la frontière italienne.
L’heure du départ était 12h00 ; nous avons marché pendant treize heures.
Vers 22h00 nous avons croisé le 22e BCA où se trouvait mon frère. Mes camarades et moi appelions : « Grousset… Grousset … Grousset … » tout le long du défilement du bataillon, et bien sûr mon frère était le dernier des derniers.
Ce fut émouvant la rencontre de deux frères. L’un partait dans le nord et l’autre à la frontière.
Pendant le trajet nous avons pris sur le chemin un âne abandonné qui nous a suivis.
La 3e compagnie dont je faisais partie était désignée pour constituer un corps franc Celui-ci comptait vingt hommes, effectif très réduit pour garder le village de Saorge-Fontan. Nous avions une position avancée en territoire italien où nous sommes arrivés à une heure du matin.
La nuit même de notre arrivée, nous avons subi le baptême du feu. Vu l’intensité du feu de l’artillerie italienne, nous avons reçu l’ordre de nous replier sur Fontan et notre âne nous a toujours suivi. Nous nous sommes camouflés derrière la ligne de chemin de fer de Fontan.
Quelle fut notre surprise le lendemain à midi de voir descendre l’arme à la bretelle un bataillon italien.
Notre lieutenant a donné l’ordre à notre batterie de faire feu. Ce fut vraiment une débandade italienne, accompagnée de notre fusil-mitrailleur. Le soir même six camarades partirent sur les lieux du tir. Une vingtaine de cadavres Italiens gisaient au sol dont le capitaine de ce bataillon ; nous avons eu deux blessés.
Le lendemain à deux heures du matin, l’artillerie adverse nous bombardait et les impacts se rapprochaient.
À 13 heures le feu cessa, mais nous recevions encore l’ordre de nous replier sur la montagne face à Fontan.
C’est alors qu’on nous fit creuser nos trous individuels jusqu’au ventre. Soudain la pluie se mit à tomber ce qui nous sauva des bombardements de l’aviation (les nuages étant très bas, les pilotes n’avaient aucune visibilité).
Le 25 juin, l’armistice fut signé et nous étions à la sortie du tunnel de Saorge, d’où les Italiens ne devaient pas déboucher.
Durant tout ce temps nous avons été hébergés dans des remises. Nous sommes descendus par échelons jusqu’à Nice. Nous nous sommes ensuite dirigés sur Draguignan où une prise d’armes était organisée, avec la lecture de la déclaration du général Olry « Une seule armée a été victorieuse, c’est l’armée des Alpes ».
Je fus démobilisé le 27 juillet 1940 à Largentière.
En ce qui concerne les conditions de vie pendant les combats qui ont duré trois jours, nous n’avons pas eu de ravitaillement. Le village à proximité étant abandonné il a fallu qu’on se débrouille, l’ambiance était bonne avant que l’armistice ne soit signé.
Sincères remerciements à la municipalité de Saorge et à l'amicale nationale du 22e BCA pour leur soutien!