Les 40 jours qui séparent le 1er mai 1940 de la déclaration de guerre peuvent être découpés en quatre phases de durée égale, de dix jours chacune.
A compter de début mai, les unités françaises sont poussées vers les crêtes frontières et la haute montagne.
Le général Olry veut être prêt à repousser une attaque italienne, mais il cherche aussi, en prenant cette décision, à ce que les unités se défassent le plus tôt possible des mauvaises habitudes de confort et de loisirs prises dans les vallées.
La reprise du dispositif de défense de la frontière prend plusieurs jours car certaines unités ont plus de 150 km à parcourir.
En outre, début mai 40, il gèle encore à plus de 2 000 mètres ; plus d’un mètre de neige tombe dans le Briançonnais.
Mais c’est surtout le problème logistique qui devient crucial.
En principe, les services d’une armée sont taillés pour soutenir ses unités sur une largeur de 50 à 100 km de front et sur une centaine de profondeur.
Or l’armée des Alpes est déployée sur 450 km de front et presque 200 de profondeur, gênée de surcroit par le relief.
Au niveau du PC de l’armée, on estime les besoins quotidiens à environ 2 000 tonnes de vivres, matériels, carburant et munitions.
Le général Olry, depuis janvier, a bien créé à son niveau et sous le boisseau, quelques unités de service, en particulier de transport, mais il lui faut maintenant obtenir du GQG de vrais moyens supplémentaires.
Ce dernier donne enfin son accord pour la création officielle de nouvelles unités de service, à partir des dépôts des 14e région de Lyon et 15e région de Marseille.
Dans ce cadre, une partie des unités non officielles, qui avaient été dissimulées jusqu’à présent, prennent officiellement leur place dans l’ordre de bataille de l’armée des Alpes.
Après le 10 mai et l’attaque allemande foudroyante qui se produit, le général Olry fait accélérer les préparatifs de tous ordres. La tension est désormais palpable au PC de Valence.
Le 12 mai, il précise son ordre d’opération : « La nécessité s’accentue pour l’armée de ne livrer qu’une seule bataille sur la position de résistance. Dans ces conditions, en avant de la position de résistance, l’armée aura seulement pour mission de ralentir l’ennemi au maximum par le jeu des destructions, l’action lointaine de l’artillerie, la résistance prolongée le plus possible des ouvrages d’avant-postes, complétée par la surveillance des SES. »
Le général Olry attire aussi l’attention de ses deux commandants de corps d’armée sur la présence de chars, en particulier sur la côte ligure. Réaliste, il reconnaît que, « bien que le théâtre du Sud-Est ne se prête pas a priori à un emploi intensif des chars, on peut envisager que la tactique hardie et aventureuse préconisée par les Italiens les incite à tenter – à la faveur de la surprise – une incursion d’engins blindés sur les axes routiers transfrontaliers. »
Pour éviter une destruction possible par un bombardement inopiné, il décide également le desserrement de son PC alors situé au grand séminaire de Valence.
Entre le 20 et le 30 mai, le commandant de l’armée des Alpes peaufine son dispositif.
Le général Olry décide de sa propre initiative de réquisitionner plusieurs dizaines d’autobus supplémentaires afin de pouvoir transférer plus facilement des unités d’un secteur à l’autre, selon les circonstances.
Il donne aussi l’ordre de ne plus effectuer les ravitaillements que la nuit.
Le 23 mai, il écrit au général Weygand, qui a remplacé le général Gamelin le 19 mai, pour qu’il l’autorise à prendre le dispositif d’alerte, compte tenu des informations dont il dispose sur les forces italiennes.
Le Général Olry est d’ailleurs tellement sûr de son analyse qu’il noircit un peu la situation.
Le Général Weygand donne son accord pour une prise du dispositif d’alerte par les unités de l’avant à compter du 25 mai.
Le 20 mai, après les premiers informations et enseignements reçus du GQG, Olry adresse une Instruction aux corps d’armées afin d’assurer la protection des arrières :
« Il est à présumer qu’en cas d’hostilités dans le Sud-est les Italiens useraient des mêmes procédés. Sur le théâtre des ALPES s’engageraient ainsi 3 batailles simultanées :
« En résumé : tout Chef, toute Unité, où qu’ils soient sont dans la bataille. »
Il est intéressant de souligner qu’Olry adresse également ses directives aux généraux commandant les régions militaires, alors que ceux-ci dépendent toujours, à cette date, directement du ministre de la Guerre.
Il prend de fait le pouvoir dans toute la région à l’Est du Rhône parce qu’il sent que c’est son devoir.
Le 28 mai une nouvelle instruction d’Olry envisage la participation d’Allemands à une offensive italienne. Même s’il se trompe en croyant à « l’interpénétration des états-majors allemands et italiens », les directives qu’il donne, vont s’avérer judicieuses 20 jours plus tard : « localiser les incidents en faisant tout, grâce à une vigilance constante – pour agir immédiatement contre toute tentative de sabotage ou d’incursion aérienne. En cas d’échec local, éviter la propagation du danger terrestre en barrant tous les axes routiers rayonnant autour du point sensible tombé aux mains de l’ennemi. »
Enfin, durant les dix jours qui précèdent le conflit la préparation s’accélère encore.
Le 31 mai, Weygand informe Olry que l’Italie va déclarer la guerre les jours suivants.
Le 1er juin, les dispositifs de déraillements des trains venant d’Italie sont mis en place.
Menton est évacué en totalité à partir du 3 juin.
A compter du 6 juin, c’est toute l’armée qui prend l’alerte, et non plus seulement les postes d’observations et unités de l’avant.
Mussolini déclare la guerre à la France le 10 juin dans la soirée.
Compte tenu de la situation catastrophique qui prévaut dans le Nord-Est, Olry va, plus que jamais être livré à lui-même.
Dans la nuit du 10 au 11 juin, la frontière est rendue hermétique à toute attaque motorisée par des destructions opérées sur tous les itinéraires principaux. Pourtant les forces italiennes ne sont pas prêtes à mener une offensive immédiatement.
Durant les dix premiers jours les deux armées s’observent et se jaugent puis, le 21 juin, l’attaque générale se déclenche, menée frontalement dans tous les secteurs.
L’assaillant, mal préparé moralement et matériellement, sans plans préconçus, doit improviser et se heurte à une défense très étudiée qu’il ne réussit pas à rompre.
Le bien-fondé de l’organisation adoptée et de tous les ordres donnés précédemment par le général Olry, apparaît en pleine lumière.
En revanche, il va devoir improviser une défense face aux Allemands qui vont, à brève échéance, menacer les arrières de son armée.
La façon dont le commandement de l’armée des Alpes crée de toute pièce des unités destinées à contenir l’avance de la Wehrmacht illustre magistralement ses capacités d’adaptation, d’imagination et de perception de l’urgence.
En effet, lorsque la menace allemande se précise, le général Olry laisse les 14e et 15e corps d’armées agir de façon quasi autonome face aux Italiens, pendant qu’il concentre ses efforts vers le nouveau front à organiser, de loin le plus dangereux.