Armée des alpes Juin 1940

Organisation générale de la défense face aux Allemands

Dès le 20 mai, avec une grande intelligence de la situation, le Général Olry diffuse ses premières directives pour mettre en état de défense la zone arrière de son armée.

Il précise son idée de manœuvre après le 12 juin : il veut créer de nouvelles lignes de défense face au nord et à l’ouest, préparer des obstacles, en particulier en faisant sauter des ponts, et placer des troupes commandées principalement derrière les coupures.
Dans ce cadre, il ordonne d'ouvrir toutes les vannes des barrages. Le débit de l’Isère, déjà en crue, atteint alors 1 100 m3 par seconde au lieu de 500 m3 normalement. La rivière devient infranchissable par des moyens de fortune, notamment avec des canots pneumatiques.

Le principe retenu est de ne prélever aucune unité qui se trouve face aux Italiens.

Concrètement, le général Olry décide de créer de nouvelles unités de marche à partir des dépôts.
Il prévoit la mise en place à court terme, non pas d’une mais de trois lignes de défense successives, qui permettront de retraiter et de mener des coups d’arrêts, même si l’ennemi parvient à percer en un point donné.
La première ligne de défense est située sur le Rhône, de Lyon à Bellegarde.
La seconde sur l’Isère prolongée par le massif de la Chartreuse.
Enfin la troisième est jalonnée par la Durance et le Vercors.

Dès que sa décision est arrêtée, le commandant de l’armée convoque tous ses chefs de bureau, ainsi que ceux des 14e, 15e et 16e régions, et donne ses ordres.
La mise en place du dispositif face aux Allemands devient prioritaire.

Pour organiser et commander les groupements de marche qu’il est en train de créer, le général Olry a besoin de chefs très énergiques

Pour organiser et commander les groupements de marche qu’il est en train de créer, le général Olry a besoin de chefs très énergiques, sachant prendre rapidement des décisions et disposant d’une forte autorité, surtout vis-à-vis de troupes hétéroclites, disposant de peu de temps pour se mettre en place.
Sans se soucier du GQG, au demeurant en déplacement et difficilement joignable, il rappelle de sa retraite le général Vichier-Guerre qui reçoit la mission d’arrêter les Allemands à l’est de Valence, et fait aussi appel au général Cartier, alpin renommé mais connu dans toute l’armée pour son caractère très exigeant et tempétueux. Il commandera le secteur de la Chartreuse-Rhône qui protège Chambéry et Grenoble.
Enfin, voulant être sûr également de ses lointains arrières, il rappelle à l’activité le général Grandjean qui prend le commandement de la 15e région à Marseille.

A partir du 14 juin les routes de la vallée du Rhône commencent à voir affluer de longues colonnes de réfugiés, militaires et civils mélangés.
Ce sont souvent des unités des services du groupe d’armées n° 2 (qui, s’appuyant sur la ligne Maginot défendaient l’Alsace-Lorraine), des hommes des bases aériennes qui refluent plus ou moins en ordre, sans savoir très bien où aller.

La création des unités de marche (entre le 3 et le 24 juin)

Les nouvelles unités de marche sont créées par le 1er bureau de l’armée des Alpes dans les dépôts des 14e mais surtout 15e région, essentiellement en récupérant des hommes qui refluent dans la vallée du Rhône, et avec les milliers de permissionnaires de tous grades qui attendent dans les ports pour rejoindre le Levant ou l’Afrique du Nord.
L’armée de l’Air et la Marine nationale, fournissent aussi des unités constituées.

En plus des dépôts existants, trois « centres d’organisation » (sic) sont créés avec pour but de mettre sur pied, à partir d’unités et de matériels de toute provenance, de nouveaux corps de troupe capable de monter en ligne.
La Cavalerie aura son centre d’organisation à Orange, l’Infanterie et le Génie à Avignon, l’Artillerie à Nîmes.
Les commissions de réquisition de véhicules sont rétablies.
Olry a carte blanche, sauf pour faire sauter les barrages, décision qui relèverait de Weygand.

Dans la vallée du Rhône, ce sont des dizaines de milliers de fuyards, peut-être entre 100 000 et 200 000, en grande majorité des civils, qui avancent vers le Sud sur les deux rives du fleuve. Après avoir fait canaliser ce flux sur la rive droite, le commandant de l’armée organise un système ingénieux.
Trois barrages sont édifiés, commandés chacun par un officier relié par téléphone au PC de l’armée.
Le premier se situe au niveau de Tournon – Tain l’Hermitage. Ici, l’officier responsable ne fait qu’observer le flux de réfugiés qui s’écoule vers le Sud, et transmettre au PC en temps réel, la liste des unités plus ou moins constituées qu’il voit passer, et qui vont généralement de la section à la compagnie. Il indique à Valence, leur effectif, leur armement et les véhicules dont elles disposent.
Le 1er bureau de l’armée prend note, dispose de quelques minutes pour décider, puis téléphone ses ordres à l’officier qui commande le second barrage, situé dix-huit kilomètres plus au Sud, à Saint-Péray.
Ainsi lorsque l’unité repérée à Tournon se présente au second barrage, l’officier responsable la dirige vers sa destination finale ou provisoire.

Trois cas peuvent se présenter.
Soit l’unité est jugée totalement inapte à reprendre le combat et dans ce cas, ses matériels (essentiellement armement et véhicules) sont récupérés et les hommes laissés libres de continuer leur chemin vers le Sud à pied.
Soit elle est jugée utilisable à terme, et elle est alors dirigé vers un centre d’organisation.
Soit elle est jugée apte à reprendre le combat immédiatement, et dans ce cas elle franchit le Rhône pour rejoindre le secteur qu’elle aura à défendre.
Tout au long des trajets, les gendarmes comme les officiers de liaison s’assurent que chacun suit bien le chemin qui lui a été fixé.
Un dernier barrage est disposé à Pont-Saint-Esprit, car le commandement espère pouvoir encore y récupérer quelques nouvelles unités arrivées par des routes transverses.

Dans les centres d’organisation, dès qu’une unité est jugée opérationnelle, un officier du 1er bureau vient l’inspecter, et s’il confirme l’avis du chef de centre, le 3e bureau de l’armée la prend en compte, tandis que le 4e prévoit son transport vers le front puis son ravitaillement journalier.
Dans cette période, la principale difficulté est de trouver suffisamment d’officiers de valeur pour commander ces unités de marche.

Finalement, toutes ces mesures permettent de récupérer et de mettre sur pied la valeur de trois divisions légères d’infanterie, soit au total, 22 280 combattants.
Le résultat obtenu dépasse toutes les prévisions.

Un dernier élément illustre parfaitement la capacité du général Olry à se projeter dans l’avenir.
Le 21 juin, il adresse à ses subordonnés une instruction personnelle et secrète (IPS).
Le commandant de l’armée des Alpes explique comment il voit la situation, et donne ses ordres.
Son armée, statique, est placée dans une posture plein Est, face à l’Italie, elle doit y rester malgré le danger allemand qui surgit. Pour s’opposer à ce dernier, il va utiliser principalement les unités de marche qu’il fait mettre sur pied.
Puis il poursuit son instruction par ces mots lourds de sens :

La défaite du Nord-Est qui nous atteint n’est pas la nôtre. Vis-à-vis de l’Italie, qui est notre adversaire normal, que nous contenons à 1 contre 4, je veux que nous gardions le front haut.

Instruction Personnelle et Secrète du général Olry, le 21 juin 1940

Situation front ouest

Max Schiavon

Il précise à ses unités que, si elles venaient à être encerclées par les Italiens et les Allemands, elles devraient se rendre à ses derniers, car il ne veut pas que les Italiens, qu’il estime battus, s’approprient une gloire à moindre frais.
Dans cette atmosphère délétère de fin juin 1940, il veut que les soldats de l’armée des Alpes sachent qu’ils ont rempli leur mission, gage d’espoir pour l’avenir.

La suite est connue:
A l’heure de l’armistice, les Italiens seront parvenus en quelques endroits seulement à aborder la position de résistance française en ayant subi de très lourdes pertes.
Face aux Allemands, le général Olry réussira in extremis à conserver sa ligne de résistance sur le Rhône et l’Isère.
Malgré d’ultimes tentatives dans les jours qui précèdent l’armistice, la Wehrmacht n’arrivera pas à entrer dans Grenoble.

Mortier de 280mm du 154e régiment d'artillerie de position

Photo : @cedricmas

Bibliographie

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Frédéric le Moal et Max Schiavon, Juin 1940, la guerre des Alpes : enjeux et stratégies, Paris, Economica, coll. «Campagnes & stratégies. / Grandes batailles » (no 83), 2010, 488 p. (ISBN 978-2-717-85846-4).

(fr) David Zambon, « L’heure des décisions irrévocables : 10 juin 1940, l’Italie entre en guerre », in Histoire(s) de la Dernière Guerre, no 5, mai 2010.

Giorgio Rochat (trad. Anne Pilloud), « La campagne italienne de juin 1940 dans les Alpes occidentales », Revue historique des armées, no 250,‎ 15 mars 2008, p. 77–84 (ISSN 0035-3299, lire en ligne [archive], consulté le 26 mars 2020).

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Max Schiavon, Une victoire dans la défaite, la destruction du Chaberton, Briançon 1940, Parçay-sur-Vienne, Anovi, 2007, 266 p. (ISBN 978-2-914-81818-6)

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Pallière, « Les combats de juin 1940 en Savoie : le déferlement des Allemands », dans Mémoires et documents de la Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, Société savoisienne d’histoire et d’archéologie, coll. « L’histoire en Savoie » (no 94), juin 1989, 56 p. (ISSN 0046-7510)

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